Quatuor à cordes no 14 de Beethoven

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Quatuor à cordes no 14
en ut dièse mineur
Opus 131
Image illustrative de l’article Quatuor à cordes no 14 de Beethoven
Ludwig van Beethoven en 1823. Portrait de Ferdinand Waldmüller

Genre Quatuor à cordes
Nb. de mouvements 7
Musique Ludwig van Beethoven
Effectif 2 Violons, 1 Alto, 1 Violoncelle
Durée approximative environ 40 minutes
Dates de composition 1826
Dédicataire baron Joseph von Stutterheim
Création
Drapeau de l'Autriche Vienne, Autriche
Interprètes Schuppanzigh et son quatuor

Le Quatuor à cordes no 14 en ut dièse mineur, op. 131, de Ludwig van Beethoven, fut composé dans la première moitié de l'année 1826[1] et publié en avril 1827[1] chez Schott à Mayence[1],[2] avec une dédicace au baron Joseph von Stutterheim qui avait accepté le neveu du compositeur dans son régiment[2]. Il est chronologiquement l'avant-dernier quatuor de Beethoven.

Du point de vue formel, ce quatuor est parfois considéré comme le plus grand chef-d'œuvre de Beethoven, tous genres confondus. Schubert aurait déclaré à son sujet : « Après cela, que reste-t-il à écrire ? » (et ce fut aussi cette pièce que les amis de Schubert lui jouèrent à sa demande juste avant sa mort).

Histoire de l'œuvre[modifier | modifier le code]

Alors qu'il recevait les louanges de son ami le violoniste Karl Holz (en) au sujet de son treizième quatuor qu'il venait d'achever, Beethoven répondit : « Chacun dans son genre ! L'art veut que nous ne restions pas à la même place. Vous connaîtrez bientôt un nouveau genre de la conduite des parties. Et quant à l'imagination, Dieu merci ! nous en manquons moins que jamais. » [2]

De fait le Quatorzième Quatuor frappa par le sentiment d'unité qu'il dégageait, malgré l'atmosphère très différente des différents mouvements. C'est aux transitions entre les parties que le quatuor doit cette unité, si bien qu'il est difficile de déterminer avec précision le nombre de mouvements[3]. Selon les sources, on en compte cinq, six ou sept, les troisième et sixième pouvant être considérés comme des mouvements de transition. Il est remarquable de noter que le quatuor débute par une fugue, aspect essentiel de la pensée musicale du Beethoven de la dernière période. Le quatuor fut créé par la formation de Ignaz Schuppanzigh dans l'incompréhension générale du public.

Le quatuor dans d'autres œuvres d'art[modifier | modifier le code]

Le thème du premier adagio est orchestré en 1948 par David Raksin pour accompagner la scène la plus dramatique du film Force of evil d'Abraham Polonsky, bien que seul l'arrangeur soit crédité au générique pour la musique.

L'œuvre apparaît dans Pourquoi nous combattons (Why we fight), l'épisode 9 de la série Frères d'armes, où quatre musiciens allemands jouent le 6e mouvement au milieu des ruines, sous l'œil des soldats américains.

Le quatuor est au centre du film Le Quatuor sorti en 2012.

Musique[modifier | modifier le code]

Durée[modifier | modifier le code]

Le quatuor est constitué d'une succession ininterrompue de sept mouvements[3]. Sa durée d’exécution est d'environ 40 minutes[4].

Structure[modifier | modifier le code]

La structure du quatuor est donnée dans le tableau suivant[5].

No. Tempo Tonalité Nb
mesures
Durée
approx.
I. Adagio ma non troppo et molto espressivo ut dièse mineur
121 ~ 7 min.
II. Allegro molto vivace ré majeur
198 ~ 3 min.
III. Allegro moderato si mineur 4/4 11 ~ 45 s
IV. Andante, ma non troppo e molto cantabile la majeur
277 ~ 14 min.
Più mosso 4/4
Andante moderato e lusinghiero 4/4
Adagio
Allegetto
Adagio, ma non troppo e semplice
Allegretto
V. Presto mi majeur
498 ~ 5 min. 30
VI. Adagio quasi un poco andante sol dièse mineur
28 ~ 2 min.
VII. Allegro ut dièse mineur
388 ~ 6 min. 30

Analyse, par Richard Wagner[modifier | modifier le code]

« Si nous voulons nous imaginer une journée de la vie de notre saint, un des merveilleux morceaux du maître pourrait nous en offrir immédiatement l'exemple. Nous nous en tiendrons ici, de peur de nous tromper, au procédé que nous avons employé pour déterminer l'origine de la musique comme art, au phénomène du rêve pris analogiquement mais sans identification possible. Je choisis donc, pour expliquer, au moyen des événements de sa vie intérieure, une pure journée de la vie de Beethoven, le grand quatuor en ut dièse mineur : ce que nous ferions difficilement à l'audition de ce quatuor, parce que nous nous sentirions forcés d'abandonner toute comparaison déterminée, et de ne percevoir que la manifestation immédiate d'un autre monde, nous devient pourtant possible jusqu'à un certain point, quand nous nous bornons à nous représenter, de mémoire, ce poème sonore. Même ici, je laisse à la fantaisie du lecteur le soin d'animer l'image en ses traits particuliers, en ne m'aidant que d'un schéma très général.

Le très long adagio d'introduction est certainement la chose la plus mélancolique que jamais la musique ait exprimée ; je voudrais le caractériser comme le réveil au matin de ce beau jour qui, dans sa longue course, ne remplira pas un seul vœu, pas un » ! Pourtant, en même temps il y a un acte de contrition, une consultation tenue avec Dieu sur la foi au bien éternel, - L'œil tourné vers l'intérieur aperçoit ainsi l'apparition consolatrice, reconnaissable pour lui seul (allegro 6/8), en laquelle le désir devient un jeu mélancoliquement doux en soi-même : le rêve intérieur s'éveille en un souvenir d'une absolue suavité. Et c'est maintenant comme si (avec le bref allegro moderato de transition) le maître, conscient de son art, se remettait à son travail magique. Il emploie maintenant la force ravivée de ce charme qui lui est propre (andante 4/4) à fasciner une figure toute gracieuse pour s'enivrer sans fin en elle. Cette figure idéale, preuve par elle-même de l'innocence la plus intime, est soumise à des transformations perpétuelles incroyables, par la réfraction des rayons de la lumière éternelle que le musicien projette sur elle. — Nous croyons alors voir l'homme profondément heureux en lui-même, jeter sur le monde extérieur un regard d'une indicible joie (Presto 2/4) : le voilà de nouveau devant lui comme dans la Symphonie pastorale ; tout s'éclaire de son bonheur intérieur ; pour lui c'est comme s'il prêtait l'oreille aux harmonies propres des apparitions aériennes, puis, de nouveau, matérielles, qui se meuvent devant lui en un doux rhythme  [sic]. Il considère la vie et paraît se demander (court adagio 3/4) s'il doit se mettre à jouer cette vie en air de danse : courte mais obscure méditation, comme s'il s'enfonçait dans le rêve profond de son âme. Un éclair lui a montré de nouveau l'intérieur du monde : il s'éveille et joue maintenant sur le violon un air de danse comme jamais le monde n'en a encore entendu (allegro finale). C'est la danse du monde lui-même : plaisir sauvage, plainte douloureuse, extase d'amour, suprême joie, gémissement, furie, volupté et souffrance ; des éclairs sillonnent l'air, le tonnerre gronde ; et, au-dessus de tout, le formidable ménétrier qui force et dompte tout, hardi et sûr à travers les tourbillons, nous conduit à l'abime : — il sourit sur lui-même, car pour lui cet enchantement n'était pourtant qu'un jeu. — La nuit lui fait signe. Sa journée est finie.

Il n'est pas possible de méditer quelque événement de la vie de Beethoven sans immédiatement faire appel au musicien Beethoven pour l'expliquer. »

— Richard Wagner, Beethoven[6]

Thèmes[modifier | modifier le code]

Introduction de l'Adagio ma non troppo et molto espressivo :


\relative g' {
 \version "2.18.2"
 \key cis \minor \time 2/2
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 2 = 44
 \set Staff.midiInstrument = "violin"

 \partial 4 gis(\< |
 bis2 cis) | a2.\sf\> gis4\p( | fis a gis fis | e fis) gis2\laissezVibrer |
}

Introduction de l'Allegro molto vivace :


\relative d' {
 \version "2.18.2"
 \key d \major \time 6/8
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 2. = 80
 \set Staff.midiInstrument = "violin"

 \partial 4. d4.\pp( |
 d'4.)~ d4( cis8) |
 cis4( ais8 b4 cis8 |
 d4 cis8 e d b) |
 b4( a8 d4 e8 |
 fis4 e8 d4 cis8) |
 cis4\( ais8 b4 cis8 |
 d4\< cis8 e(\> d) b-.\) |
 a4\!
}

Introduction de l'Andante, ma non troppo e molto cantabile :


\relative a' {
 \version "2.18.2"
 \key a \major \time 2/4
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 4 = 60
 \set Staff.midiInstrument = "violin"

 <<
 {r8\p a4^\markup { \italic dolce }( b16 a | gis8) r8 r4 | r8 d'4( e16 d | cis8) r8 r4 | r8 a'4(\< g16\> eis)\! | eis8( fis) r4 | r8 e16( d cis8) r | r fis,16( e dis8) r | r8 }
 \\
 {r8 cis4.( | d8) gis4( a16 gis | d'8) b,4.( | a8) cis'4( d16 cis | a'8) r r4 | r8 fis4(\< e16\> cis\! | dis8)\noBeam b,( cis)\noBeam b'16( a | gis8) r r d16( b | a8) }
 >>
}

Introduction du Presto :


\relative b' {
 \version "2.18.2"
 \key e \major \time 2/2
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 1 = 116
 \set Staff.midiInstrument = "violin"

 b4-.\p gis-. e-. gis-. |
 b2( e) |
 dis4-. e-. fis-. gis-. |
 a4 r r2 |
 gis4-. fis-. e-. dis-. |
 cis2( fis) |
 gis4\f gis gis gis |
 gis r4 r2 |
}

Allegro final Le premier thème comporte deux idées :


\relative c' {
 \version "2.18.2"
 \key cis \minor \time 2/2
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 2 = 132
 \set Staff.midiInstrument = "violin"

 cis4-.\ff r4 r2 |
 r4 cis8( e gis4-.) a8( cis, |
 bis4) r4 r2 |
 r4 bis8( dis gis4-.) a8( bis, |
 cis4) r4
}

et


\relative c'' \new Staff \with { \remove "Time_signature_engraver" } {
 \version "2.18.2"
 \key cis \minor \time 2/2
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 2 = 132
 \set Staff.midiInstrument = "violin"

 \partial 2 cis4 r8 dis |
 \once \override Score.BarNumber #'break-visibility = ##(#f #t #t) \set Score.currentBarNumber = #5 \bar "|"

 e4 r8 fis gis4 r8 a |
 gis4 r gis r8 fis |
 e4 r8 dis e4 r8 cis |
 dis4 r cis r8 dis |
 e4 r8 fis gis4 r8 ais |
 b4 r b r8 gis |
 ais4 r8 gis ais4 r8 fisis |
 gis4 r
}

Second thème :


\relative a'' \new Staff \with { \remove "Time_signature_engraver" } {
 \key cis \minor \time 2/2
 \set Score.tempoHideNote = ##t \tempo 2 = 132
 \set Staff.midiInstrument = "violin"
 \set Score.currentBarNumber = #56 \bar ""

 gis2~\p gis8( fis e dis |
 e dis cis b a gis fis e) |
 e4.(_\markup { \italic cresc.} dis8) b''2_\markup { \italic espress. }^\markup { \italic "poco riten." } |
 b b |
}

Repères discographiques[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c Barry Cooper (trad. de l'anglais par Denis Collins), Dictionnaire Beethoven [« Beethoven compendium »], Lattès, coll. « Musiques et musiciens », , 614 p. (ISBN 978-2-7096-1081-0, OCLC 25167179), p. 396
  2. a b et c Jean Massin et Brigitte Massin, Ludwig van Beethoven, Fayard, , 845 p. (ISBN 978-2-213-00348-1), p. 719-20
  3. a et b Élisabeth Brisson, Guide de la musique de Beethoven, Paris, Fayard, coll. « Les Indispensables de la musique », , 878 p. (ISBN 978-2-213-62434-1 et 2213624348), p. 816
  4. Durée moyenne basée sur les enregistrements discographiques cités
  5. Elisabeth Brisson, Guide de la musique de Beethoven, Paris, Fayard, coll. « Les Indispensables de la musique », , 878 p. (ISBN 978-2-213-62434-1 et 2213624348), p. 812
  6. Œuvres en prose de Richard Wagner, Tome X (Tome IX des Gesammelte Schriften), traduit de l’allemand par J.-G. Prod'homme & L. Van Vassenhove, Auber. - Beethoven. - L'Opéra. Acteurs et Chanteurs. (1869-1871). Paris, Librairie Delagrave, 1922, pp. 78-80.
  7. Enregistrement salué par un Diapason d'or dans la revue Diapason n°379 du mois de février 1992
  8. « Une des grandes interprétations de l'histoire du disque ». Le guide 1996 du CD : Tome 1, Répertoire Classique, Marabout, (ISBN 978-2-501-02361-0), p. 69
  9. Enregistrement salué par un Diapason d'or dans la revue Diapason n°356 du mois de janvier 1990
  10. « Une intégrale qui n'a pas vieilli ». Le guide 1996 du CD : Tome 1, Répertoire Classique, Marabout, (ISBN 978-2-501-02361-0), p. 70
  11. « L'intégrale des Végh constitue la référence absolue pour les quatuors de Beethoven ». Le guide 1996 du CD : Tome 1, Répertoire Classique, Marabout, (ISBN 978-2-501-02361-0), p. 69
  12. « Sans doute le sommet de l'intégrale des Lindsay ». Le guide 1996 du CD : Tome 1, Répertoire Classique, Marabout, (ISBN 978-2-501-02361-0), p. 70
  13. « Le Quatuor Alban Berg a réussi comme nul autre l'ascension de cet Himalaya de la production beethovénienne : clarté, intensité, expressivité, sens aigu de l'architecture caractérisent cette version ». La Discothèque idéale : sous la direction de Bertrand Dermoncourt, Arles/Paris, Actes Sud, , 280 p. (ISBN 978-2-330-00216-9), p. 37
  14. Enregistrement salué par un Diapason d'or dans la revue Diapason du mois de décembre 2012, p. 74
  15. « Un Beethoven sobre et allusif mais d'une frémissante sensibilité ». Le guide 1996 du CD : Tome 1, Répertoire Classique, Marabout, (ISBN 978-2-501-02361-0), p. 69
  16. Enregistrement salué par un Gramophone Award 2005 de la revue Gramophone
  17. Enregistrement salué par un Diapason d'or dans la revue Diapason du mois de novembre 2010, p. 90
  18. Enregistrement salué par un Diapason d'or dans la revue Diapason du mois de décembre 2011, p. 73.
  19. Enregistrement en concert à Philadelphie, le 6 mai 2019.

Liens externes[modifier | modifier le code]