Déterminisme technologique

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Le déterminisme technologique est un courant de pensée par lequel « on suppose que le changement technique est un facteur indépendant de la société. D'une part, le changement technique est autonome [...]. D'autre part, un changement technique provoque un changement social »[1]. Le déterminisme technologique est donc constitué autour de deux grandes idées :

  • La société n'influence pas la technique, qui tire son évolution d'elle-même ou de la science ;
  • La technique influence la société.

Le déterminisme technologique est aujourd'hui fortement remis en cause par les avancées de la sociologie des techniques[2].

Idée que la société n'influence pas la technique[modifier | modifier le code]

André Leroi-Gourhan est l'un des grands représentants du courant déterministe, et en particulier de l'idée que les technologies sont leur propre moteur. À propos de son étude des techniques primitives, et notamment des propulseurs, il écrit ainsi que « le déterminisme technique conduit à considérer le propulseur comme un trait naturel, inévitable, né de la combinaison de quelques lois physiques et de la nécessité de lancer le harpon »[3]

Idée que la technique façonne la société[modifier | modifier le code]

On associe souvent à Karl Marx l'idée que l'évolution technique détermine l'évolution des sociétés. Des nombreux auteurs comme Alvin Hansen[4], Robert Heilbroner[5], Lewis Mumford[6], William Shaw[7] ou Langdon Winner[8] estiment ainsi que le déterminisme technologique est un concept central de la pensée de Marx. Merritt Roe Smith juge à son tour que « Marx, dans ses moments de simplification, affirmait que le féodalisme reposait sur les roues à eau et que les machines à vapeur donnèrent naissance tant aux usines qu'à la bourgeoisie. »[9] Cette interprétation est cependant contestée par d'autres auteurs comme David Dickson[10], Donald MacKenzie[11], Richard Miller[12], Nathan Rosenberg[13] ou Reinhard Rürup[14] qui soulignent de différentes manières que pour Marx l'évolution historique est avant tout un processus social fondé sur les rapports de production et que c'est sur la base de ces rapports que se fonde l'évolution technique. Bruce Bimber remarque ainsi que pour Marx « l'introduction de la technologie dans le procès de travail dépend de l'organisation sociale, de la spécialisation et de la concentration des richesses qui la précèdent », et que le processus d'évolution technique décrit par Marx dépend non pas de caractères propres à la technique, mais de « caractères humains comme le désir d'accumuler ou la résistance à l'aliénation[15] ».


On retrouve une expression plus claire du déterminisme technologique chez Friedrich Engels, notamment dans l'introduction à La situation de la classe laborieuse en Angleterre :

L'histoire de la classe ouvrière en Angleterre commence dans la seconde moitié du siècle passé, avec l'invention de la machine à vapeur et des machines destinées au travail du coton. On sait que ces inventions déclenchèrent une révolution industrielle qui, simultanément, transforma la société bourgeoise dans son ensemble et dont on commence seulement maintenant à saisir l'importance dans l'histoire du monde[16].

Auteur d’une soixantaine de livres dont un sur la pensée de Marx dont il était spécialiste[17], Jacques Ellul est surtout connu comme penseur de la technique. Il est notamment l'auteur de :

Critique du déterminisme technologique[modifier | modifier le code]

Le déterminisme technologique s'oppose aujourd'hui au constructivisme social appliqué à l'étude des techniques[21]. La perspective constructiviste et la critique du déterminisme fut notamment développée par Wiebe Bijker et Trevor Pinch, dans leur livre The Social Construction of Facts and Artifacts[22].

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Liens internes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Dominique Vinck 1995, p. 232.
  2. Dominique Vinck, Sociologie des sciences, Paris, A. Colin, coll. « "U" / Sociologie », , 292 p. (ISBN 978-2-200-21522-4, OCLC 469513540), p. 254.
  3. André Leroi-Gourhan, 1971, Evolution et technique, I, Paris, p. 235, cité in Marc Groenen, 1996, Leroi-Gourhan : essence et contingence dans la destinée humaine, De Boeck Université
  4. (en) Alvin H. Hansen, « The Technological Interpretation of History », The Quarterly Journal of Economics, vol. 36, no 1,‎ , p. 72-83 (lire en ligne Accès libre)
  5. (en) Robert L. Heilbroner, « Do Machines Make History ? », Technology and Culture, vol. 8, no 3,‎ , p. 335-345 (lire en ligne Accès limité)
  6. Lewis Mumford, Le Mythe de la machine, Paris, Editions de l'Encyclopédie des Nuisances, 2019 [1967]
  7. (en) William H. Shaw, « "The Handmill Gives You the Feudal Lord" : Marx's Technological Determinism », History and Theory, vol. 18, no 2,‎ , p. 155-176 (lire en ligne Accès limité)
  8. (en) Langdon Winner, Autonomous Technology, Cambridge (Mass.), The MIT Press, , p. 39
  9. Merritt Roe Smith, Leo Marx (en), 1994, Does Technology Drive History? The Dilemma of Technological Determinism, MIT Press, p. 103
  10. (en) David Dickson, The Politics of Alternative Technology, New York, Universe Books, , p. 54
  11. (en) Donald MacKenzie, « Marx and the Machine », Technology and Culture, vol. 25, no 3,‎ , p. 473-502 (lire en ligne Accès limité)
  12. (en) Richard W. Miller, Analyzing Marx : Morality, Power and History, Princeton, Princeton University Press, , p. 188 et ss.
  13. (en) Nathan Rosenberg, « Marx as a Student of Technology », Monthly Review, vol. 28,‎ , p. 56-77 (lire en ligne Accès payant)
  14. (en) Reinhard Rürup, « Historians and Modern Technology : Reflections on the Development and Current Problems of the History of Technology », Technology and Culture, vol. 15, no 2,‎ , p. 161-193 (lire en ligne Accès limité)
  15. (en) Bruce Bimber, « Karl Marx and the Three Faces of Technological Determinism », Social Studies of Science, vol. 20, no 2,‎ , p. 333-351 (lire en ligne Accès limité)
  16. Friedrich Engels, « La situation de la classe laborieuse en Angleterre » Accès libre
  17. Jacques Ellul, La pensée marxiste. Cours professé à l'IEP de Bordeaux de 1947 à 1979 (mis en forme et annoté par Michel Hourcade, Jean-Pierre Jézéquel et Gérard Paul), La Table Ronde. 2e édition, 2012
  18. Jacques Ellul, La Technique ou l'Enjeu du siècle. Paris : Armand Colin. 3e édition : Paris : Economica, 2008
  19. Jacques Ellul, Le Système technicien, Calmann-Lévy. 3e édition Paris : Le Cherche-midi, 2012
  20. Jacques Ellul, Le Bluff technologique. Paris : Hachette. 3e édition, 2012
  21. Dominique Vinck 1995, p. 231.
  22. MIT Press, 1987