Affaire du compte japonais de Jacques Chirac

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L'affaire du compte japonais de Jacques Chirac est une affaire politico-financière française qui a pris naissance au début des années 2000 et porte sur l'existence supposée d'un compte occulte de Jacques Chirac à la banque japonaise Tokyo Sowa Bank (TSB). Une vérification des autorités bancaires, effectuée à la demande de l'ancien président français, à l'automne 2007, a cependant montré l'absence de compte au nom de Jacques Chirac à la TSB[1].

Début de l'affaire à la DGSE (2001)[modifier | modifier le code]

Un document interne de la DGSE[modifier | modifier le code]

Le chef de poste de la DGSE à Tokyo envoie le 11 novembre 1996 à la centrale à Paris un message « urgent réservé » dans lequel est fait mention de l'hypothétique existence d'un compte bancaire que Jacques Chirac détiendrait à la Tokyo Sowa Bank depuis 1992 et crédité de 300 millions de francs (45 millions d'euros)[2].

Ces renseignements proviennent d'une source qui a pour pseudonyme « Jambage » et ont été collectés car la banque Tokyo Sowa voulait faire des affaires en France et que la DGSE cherchait à en examiner la probité. « Jambage paraît sincèrement penser que cette banque n'est pas, du fait de sa présidence actuelle, fréquentable et il ne veut pas y toucher », dit encore le message. Pierre Siramy, un cadre de la DGSE, ajoute que la Tokyo Sowa Bank était déjà à l'époque "considérée comme douteuse, voire mafieuse"[3].

Le message sera divulgué au grand public par Laurent Valdiguié et Karl Laske dans leur livre Machinations (2006)[4].

De possibles investigations de Gilbert Flam[modifier | modifier le code]

En 2001, quelques mois avant l’élection présidentielle française, Gilbert Flam, magistrat détaché à la DGSE et chef du bureau des affaires protégées[3], aurait poursuivi les investigations au Japon avec les moyens de la DGSE afin de vérifier l'existence de comptes bancaires appartenant à Jacques Chirac à la Tōkyō Sowa Ginkō et d'éclairer les liens pouvant exister entre Jacques Chirac et Shōichi Osada, le sulfureux patron de la TSB.

Rapportée à l'entourage de Jacques Chirac par une fuite interne, un employé de la DGSE nommé Bernard Coquard, très proche des milieux gaullistes et dont le sérieux a par la suite été mis en doute[3], cette possible enquête suscite la colère du président de la République qui y voit une tentative de Lionel Jospin de le discréditer à la veille de l’élection présidentielle. L'accusation est d'autant plus prise au sérieux à l'Elysée que Gilbert Flam est un ancien collaborateur du ministre socialiste Georges Sarre ainsi que l'époux d'une élue socialiste de la mairie de Paris.

Gilbert Flam nie que la DGSE ait mené de telles investigations, assurant qu'elles n'ont porté que sur Shōichi Osada dans la mesure où ce dernier voulait investir en France. L'enquête interne indique toutefois que Gilbert Flam a bel et bien mené des recherches, et ce sans en référer à personne[5].

Après la réélection de Jacques Chirac en , le directeur de la DGSE Jean-Claude Cousseran, le chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE Alain Chouet et le magistrat Gilbert Flam sont écartés[5].

Rebondissement de l'affaire à la suite de Clearstream (2006)[modifier | modifier le code]

Le , Nicolas Beau affirme dans Le Canard enchaîné qu'un classeur au nom de Gilbert Flam sur « d'hypothétiques comptes bancaires de Chirac au Japon », a été saisi chez le général Philippe Rondot, un « vétéran » du renseignement français, dans le cadre de l'affaire Clearstream 2. Rondot a en effet mené à partir de septembre 2001, à la demande de Dominique de Villepin, une enquête interne au sein des services de renseignement pour déterminer s'ils avaient enquêté sur Jacques Chirac. Le classeur renfermait les résultats de cette enquête interne, qui concluaient plutôt par la négative, estimant que les investigations sur la Tokyo Sowa Bank se justifiaient[6].

Interrogé par les juges le , le général Rondot a confirmé dans un premier temps l'existence d'un compte Chirac et donné une précision. « À ma connaissance, ce compte avait été ouvert en 1992 », a-t-il dit sur procès-verbal. Plus tard, il est revenu sur ces propos dans la presse[7].

Selon Le Canard enchaîné du , des documents nouveaux saisis chez le général Rondot accréditeraient l'existence du compte bancaire en question. Il s'agit d'une chemise intitulée « affaire japonaise », de deux autres appelées « PR1 » et « PR2 » (pour « président de la République »), contenant des messages de la DGSE et de relevés bancaires japonais. Des notes évoquent l'ancien président de la Polynésie française Gaston Flosse, ami de Jacques Chirac. Le parquet de Paris aurait tenu une réunion lundi pour examiner les conséquences possibles de ces éléments nouveaux[8],[9],[10].

Contre-enquête journalistique[modifier | modifier le code]

La présidence de la République a déclaré au mois de que Jacques Chirac n'avait jamais eu de compte à la Tokyo Sowa Bank. Elle a évoqué une « campagne de calomnies » remontant à 2001 « dont il a été établi qu'elles étaient sans aucun fondement »[11],[12]. Le , l'Elysée oppose à nouveau « un démenti catégorique »[4].

Les journalistes Karl Laske et Laurent Valdiguié ont consacré un chapitre au conte japonais dans un ouvrage consacré au Canard Enchaîné. Pour eux, il s'agit d'une « machine à fantasmes entretenue par le journal ». Ils citent notamment le journaliste du Canard, Nicolas Beau, qui aurait écrit le sur son blog : « À la limite on s'en fout de savoir si Chirac a eu un compte. »[13].

Ce scepticisme est partagé par Pierre Péan qui écrit, dans son livre sur Jacques Chirac : « Autrement dit, il n'y a eu d'affaire nippone que dans la tête de Nicolas Beau et de certains de ses confrères qui préfèrent accumuler et distiller des on-dit non vérifiés afin de mieux porter la plume dans la plaie (...) Ils se lovent ainsi dans l'amer grief de Balzac selon qui « pour le journaliste, tout ce qui est probable est vrai »[14]. »

Les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont enquêté sur « La vraie histoire du faux compte japonais » de Chirac. Ils expliquent comment a prospéré, au cours des dix dernières années, la rumeur sur l'existence de ce compte en banque, censément détenu par l'ancien président à la Tokyo Sowa Bank et crédité de 45 millions d'euros. Le résumé que fait Le Monde de cette affaire est brutal : « Une poignée de journalistes nippons disent avoir lu un jour un article sur le compte Chirac dans un journal à sensation, parlent de cette rumeur à un informateur de la DGSE, qui en fait état des années plus tard à son officier traitant, qui rapporte enfin la pseudo-information à Paris. Pas de recoupement, aucune vérification…[15] »

Procédures judiciaires[modifier | modifier le code]

Enquête au sujet des fuites[modifier | modifier le code]

Une procédure contre X a été ouverte en 2006 sur instruction du ministre de la Justice, Pascal Clément, visant des articles de presse parus entre le et le . Le juge Thomas Cassuto cherche à savoir qui a envoyé par télécopie au Canard enchaîné en un procès-verbal d'interrogatoire du général Philippe Rondot effectué dans l'enquête sur les faux listings de la société Clearstream (affaire Clearstream 2). Philippe Rondot y évoquait l'existence d'un compte bancaire de Jacques Chirac au Japon, crédité de sommes colossales[16].

Le , le juge Thomas Cassuto s'est présenté avec des policiers au siège du Canard Enchaîné mais les rédacteurs présents ont dit ne pas pouvoir ouvrir la porte de la rédaction, qui était fermée à clé, en l'absence du directeur ou des administrateurs. Il a dû renoncer devant l'opposition des journalistes qui ont refusé de lui donner les clefs de la rédaction[16].

Enquête connexe au sujet de la mort du journaliste Jean-Pascal Couraud[modifier | modifier le code]

Le journaliste tahitien et opposant à Gaston Flosse, Jean-Pascal Couraud, surnommé JPK, a disparu à Tahiti le . Selon certains témoignages, il enquêtait sur des transferts de fonds suspects entre Robert Wan, homme d'affaires tahitien proche de Gaston Flosse, et Jacques Chirac[17],[18]. Le tribunal de Papeete a conclu au suicide et prononcé un non-lieu en [19].

En 2004, l'enquête est cependant rouverte à la suite d'un témoignage de Vetea Guilloux, un ancien membre du Groupe d'intervention de la Polynésie (GIP), l'ancien service d'ordre personnel de Gaston Flosse, affirmant que Jean-Pascal Couraud a été assassiné par des membres du GIP. Il finit par se rétracter[20]. En décembre de la même année, la famille du journaliste a déposé plainte contre X avec constitution de partie civile pour assassinat et complicité[20].

En , pendant l'instruction, Me Jean-Dominique des Arcis, l'avocat de Jean-Pascal Couraud, a fait part d'une « note circulant à Papeete en 1998-1999, faisant état de transferts de fonds par Robert Wan à Jacques Chirac »[17].

Le , le juge d'instruction Jean-François Redonnet, du tribunal de grande instance de Papeete, a procédé à une perquisition dans les locaux de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) à Paris pour collecter des éléments sur l'existence du compte japonais de Jacques Chirac. Il s'est fait remettre à la DGSE dix-sept documents classifiés et placés sous scellés, liés aux activités de la Tokyo Sowa Bank[21]. Le , le juge Redonnet s'est rendu au cabinet de Jean Veil, avocat de Jacques Chirac pour placer sous scellés une enquête réalisée auprès de l'ex-Tokyo Sowa Bank et commandée par l'avocat. Cette enquête concluait à l'inexistence du compte japonais. Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier de Paris, s'est opposé à la remise de ce document. En effet, un avocat ne peut être délié du secret professionnel, même par son client[17].

La Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), saisie par le ministère de la Défense pour se prononcer sur la déclassification de ces documents, a émis un avis favorable pour 16 des 17 documents le [20],[21]. Le , Hervé Morin a levé le secret défense[22].

Un deuxième avis le est favorable à la déclassification de 11 documents, à celle partielle de deux documents, mais défavorable à la déclassification de 13 autres documents de la DGSE[20].

Le , la CCSDN se réunit après avoir été saisie par le ministère de la Défense le à la suite d'une demande du juge du , et donne un troisième avis, défavorable à la déclassification de trois documents de la DGSE[20].

En été 2010, le juge Jean-François Redonnet demande aux autorités japonaises si le compte de Jacques Chirac a existé un jour ; le parquet régional de Tokyo répond par la négative. L'enquête se poursuit néanmoins indirectement à la suite de la réouverture en 2004 du dossier sur la disparition du journaliste Jean-Pascal Couraud le [23].

En 2012, Vetea Guilloux réitère ses accusations selon lesquelles Jean-Pascal Couraud serait mort à l'issue d'un interrogatoire musclé en mer mené par des membres du GIP[24]. Ses déclarations sont confortées par d'autres témoignages[25]. Le , Tutu Manate et Tino Mara, deux anciens agents du GIP, sont mis en examen pour enlèvement, séquestration et meurtre[26]. Le suivant, c'est au tour de l'ancien chef des GIP et proche de Gaston Flosse, Rere Puputauki d'être mis en examen pour enlèvement, séquestration de personne et meurtre commis en bande organisé[27]. Après de multiples rebondissements, un procès aura tout de même lieu en 2016[28].

Cependant le , Francis Stein, qui fut l'ami de Couraud et Miri Tatarata, qui fut sa compagne, sont entendus par le juge d'instruction puis par le juge des libertés. À la suite de quoi, ils ont été mis en examen pour meurtre et laissés libres sous contrôle judiciaire. Tatarata et Stein auraient entretenu une relation à l'insu de Couraud. La justice leur reproche des incohérences et des variations dans leurs témoignages concernant la nuit de sa disparition[29].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Le Point, 31 janvier 2008.
  2. « Les petites cachotteries de la DGSE », sur L'Obs, (consulté le )
  3. a b et c Siramy, Pierre., 25 ans dans les services secrets, Flammarion, (ISBN 978-2-08-123261-7 et 2-08-123261-8, OCLC 587016058, lire en ligne)
  4. a et b « L'Elysée juge "mensongères" les allégations sur un compte de Chirac au Japon », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. a et b Nicolas Beau et Olivier Toscer, L'histoire secrète du compte japonais de Jacques Chirac, Les Arènes, , 250 p. (ISBN 978-2352040552)
  6. « L'existence du compte de Chirac au Japon se confirme », sur L'Obs, (consulté le )
  7. « Compte japonais de Chirac : Rondot dément », sur L'Obs, (consulté le )
  8. Article sur Yahoo News, Rondot interrogé sur un compte japonais de Chirac
  9. Clearstream : Rondot interrogé sur un compte japonais de Chirac, Reuters, 22 mai 2007.
  10. Le compte japonais de Jacques Chirac refait surface, nouvelobs.com, 23 mai 2007 tempsreel.nouvelobs.com
  11. « Chirac: Un compte moins secret? », sur lejdd.fr, (consulté le )
  12. « Alertée sur l'existence d'un compte de M. Chirac au Japon, la DGSE n'a jamais vérifié l'information », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  13. Karl Laske et Laurent Valdiguié, Le vrai Canard, Paris, Stock, , 487 p. (ISBN 978-2-234-06078-4)
  14. Pierre Péan, L'inconnu de l'Elysée, Paris, Fayard, , 516 p. (ISBN 2213631492)
  15. Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « La vraie histoire du faux compte japonais de Jacques Chirac », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  16. a et b Clearstream : perquisition avortée au siège du Canard enchaîné, nouvelobs.com, 11 mai 2007 tempsreel.nouvelobs.com
  17. a b et c "Compte japonais" de Jacques Chirac : perquisition à la DGSE, Le Monde, 6 juin 2008.
  18. Pascal Riché, Disparition de JPK à Tahiti : Gaston Flosse sur la défensive, Rue89, 16 janvier 2009
  19. « Perquisition chez l'avocatde Jacques Chirac », sur LEFIGARO, (consulté le )
  20. a b c d et e « Compte présumé de Chirac au Japon: pas de documents déclassifiés », sur Aujourd'hui le Japon, AFP, (consulté le )
  21. a et b « Compte présumé de Chirac au Japon: avis favorable à la déclassification de documents », sur Aujourd'hui le Japon, AFP, (consulté le )
  22. « Morin lève le secret défense sur le compte secret de Chirac au Japon », Le Monde, 22 octobre 2008.
  23. https://www.lexpress.fr/actualites/2/le-japon-n-a-pas-retrouve-d-avoirs-bancaires-de-jacques-chirac_951533.html
  24. Le témoignage de Vetea Guilloux sur Dailymotion
  25. Gérard Davet, Fabrice Lhomme, L'Homme qui voulut être roi, Stock, 2013, p. 110, 117.
  26. « Journaliste disparu en Polynésie : deux mises en examen pour meurtre », Libération, 26 juin 2013.
  27. Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un proche de Gaston Flosse mis en examen pour le meurtre d’un journaliste, Le Monde, le 17 juillet 2013.
  28. Affaire JPK : l'annulation des écoutes de Manate et Puputauki confirmée en cassation, Tahiti Infos, le 12 janvier 2015.
  29. Lucile Guichet-Tirao et Hubert Liao, « Affaire JPK : "On attend que la vérité se fasse" », sur France Info, Polynésie la 1ère (MLSF), (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

Bibliographie et documentaire[modifier | modifier le code]