Éruption du Tambora en 1815

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Éruption du Tambora en 1815
Image illustrative de l’article Éruption du Tambora en 1815
Retombées de cendres selon leur épaisseur.
Localisation
Pays Drapeau de l'Indonésie Indonésie
Volcan Tambora
Dates -
Caractéristiques
Type d'éruption explosive
Phénomènes Panache volcanique, nuées ardentes
Volume émis ~30 à 60 km3 DRE
Échelle VEI 7
Conséquences
Nombre de morts au minimum 117 000
Nombre de blessés 18 000
Géolocalisation sur la carte : Indonésie
(Voir situation sur carte : Indonésie)
Éruption du Tambora en 1815
Géolocalisation sur la carte : petites îles de la Sonde
(Voir situation sur carte : petites îles de la Sonde)
Éruption du Tambora en 1815
Géolocalisation sur la carte : Sumbawa
(Voir situation sur carte : Sumbawa)
Éruption du Tambora en 1815

L'éruption du Tambora en 1815 est une éruption volcanique qui s'est produite sur l'île de Sumbawa, en Indonésie, en avril 1815, et qui entraîna « l'année sans été ». Elle est considérée comme la deuxième éruption la plus violente des temps historiques, après celle du Samalas en 1257 sur l'île de Lombok, également en Indonésie. La violence de l'éruption (qui décapite le sommet du volcan et créée une caldeira de 6 km de diamètre), les nuées ardentes, les tsunamis et les pluies de cendres volcaniques détruisent toute vie dans la péninsule de Sanggar et causent au total la mort d'environ 117 000 personnes dans les îles de Sumbawa, Lombok et Bali.

Les aérosols projetés dans la stratosphère voilent la lumière du Soleil et provoque un hiver volcanique. Les conséquences sur le climat au niveau mondial sont telles que l'année 1816 est surnommée l'année sans été, avec des moyennes de température jusqu'à °C en dessous des normales, des chutes de neige en plein été dans les latitudes tempérées, des pluies diluviennes dans certaines régions et une absence presque totale d'ensoleillement. L'hémisphère nord est le plus touché avec des récoltes de céréales et de pommes de terre ravagées en Chine, en Europe et en Amérique du Nord. Les famines se multiplient, tout comme les épidémies de typhus. Des flux migratoires s'organisent, de l'Europe occidentale et centrale vers les Amériques, et de la côte est des États-Unis vers le Midwest. Au niveau mondial le nombre de victimes des conséquences de l'éruption est estimé entre 100 000 et 200 000 personnes.

Ces évènements consécutifs à l'éruption du Tambora marquent les arts et les sciences, en premier lieu la peinture, notamment au travers des couchers de soleil de William Turner et de Caspar David Friedrich. En littérature le sombre été 1816 inspire le Frankenstein de Mary Shelley. Ces évènements provoquent par ailleurs certaines innovations techniques avec notamment l'invention de la draisienne et des engrais minéraux.

Contexte[modifier | modifier le code]

Image en couleur du volcan entouré par la mer. Au centre de l'image la caldeira circulaire est nettement visible.
Vue satellite du Tambora au centre de la péninsule de Sanggar.

Le Tambora est un volcan actif situé dans l'arc volcanique des Petites îles de la Sonde, aujourd'hui en Indonésie et à l'époque faisant partie des Indes néerlandaises. Le cône volcanique du Tambora, mesurant 4 300 m d'altitude avant l'éruption, forme la péninsule de Sanggar, de 60 km de large, qui constitue le nord de l'île de Sumbawa[1].

À partir de 1812, le volcan se réveille, après 1 000 ans d'inactivité et alors que les habitants de la région le pensaient éteint, et montre régulièrement des signes d'activités marqués par des secousses, des éruptions mineures et la projection de nuages de cendres autour du sommet[2].

Chronologie de la séquence éruptive[modifier | modifier le code]

Première éruption : 5 avril[modifier | modifier le code]

Le a lieu une première éruption d'importance, engendrant un panache volcanique de 33 km de hauteur. Durant les jours qui suivent, le Tambora demeure dans un état de faible activité. Les habitants restent sur place. Les explosions du volcan sont entendues jusqu'à Java, Célèbes et Moluques, soit jusqu'à 1 400 km de distance, où elles sont prises pour des coups de canon[2].

Le , une légère chute de cendres fait comprendre aux habitants de Batavia (aujourd'hui Jakarta), que les détonations entendues la veille et qui ont motivé l'envoi de patrouilles militaires sont en réalité d'origine volcanique[2].

Deuxième éruption : 10-15 avril[modifier | modifier le code]

Le paroxysme de l'éruption a lieu cinq jours plus tard, le . Vers 10 heures du matin, un panache de 44 km de haut monte dans le ciel rapidement, en seulement trois heures, dans un bruit assourdissant pour les habitants de Sumbawa[2]. Vers 19 heures, l'activité du volcan augmente de nouveau, suivie une heure plus tard par une pluie de pierre ponce sur le village de Sanggar, 30 km à l'est du cratère[3]. Le volcan à ce moment est alors surmonté d'après des témoins de trois « colonnes de flammes », en fait trois panaches de cendres volcaniques brûlantes. La chute de pierres ponces dure jusqu'à 22 heures. Peu après, les trois colonnes fusionnent et la montagne n' est plus qu'une masse de « feu liquide ». Cela correspond à l'élargissement de la cheminée volcanique dû au débit éruptif important et aux premiers stades de la formation de la caldeira[2].

Lithographie en noir et blanc montrant une ville dévastée, des bateaux échoués et des cadavres. En arrière plan un volcan en train d'exploser.
Illustration dépeignant « l'éruption du Tomboro en 1821 » (sic). Leon Sonrel, 1872.

En conséquence, le panache finit par s'effondrer, créant plusieurs nuées ardentes déferlant de part et d'autre du volcan et ravageant la péninsule de Sanggar où plus aucun être vivant ne subsiste. Ces coulées brûlantes s'étalent radialement autour du volcan et se propagent à la surface de la mer jusqu'à 40 km du cratère. Elles génèrent, en réaction avec l'eau de mer, des explosions phréatiques, augmentant le volume de cendres dispersées dans l'atmosphère jusqu'à représenter la principale source de cendres volcaniques de l'éruption. In fine, ces réactions et explosions provoquent un tsunami qui se propage jusqu'aux îles voisines, sur plusieurs centaines de kilomètres[4]. Le tsunami mesure 4 m au pied du volcan, 1 à 2 m sur la côte est de Java, et 2 m sur la côte sud des Moluques[2].

Le 11 avril, les explosions continuent et sont entendues jusqu'à Sumatra, à 2 000 km du Tambora. Des témoins décrivent le volcan comme étant en feu sur sa base et couvert de fumée au sommet. L'ombrelle éruptive commence à s'étendre loin du volcan, principalement vers l'ouest, portée par les vents dominants. Une « odeur nitreuse » est rapportée jusqu'à Java à l'ouest, mais pas dans les Célèbes au nord[2].

Le , alors que l'éruption continue, l'ombrelle éruptive s'étend au point qu'à 900 km plus à l'est, à Java, alors que retentissent encore au loin les explosions, les premières lueurs du jour n'apparaissent qu'à 10 heures et que les oiseaux ne commencent à chanter que vers 11 heures. Le capitaine du Bénarès, navire de la Compagnie des Indes orientales qui naviguait au nord du détroit de Macassar, soit à plus de 1 000 km au nord du volcan, décrit une pluie de cendres et une obscurité totale à midi, la lumière du jour ne revenant que le lendemain[5]. Autour de Sumbawa, la mer est couverte de troncs d'arbre calcinés et de radeaux de pierre ponce, certains mesurant plusieurs kilomètres de long[2].

L'éruption cesse le . Les retombées de cendres continuent jusqu'au après s'être étendues jusqu'à 1 300 km de distance, laissant un paysage dévasté dans toute la région.

Conséquences[modifier | modifier le code]

Conséquences sur la biodiversité[modifier | modifier le code]

Les conséquences sur la faune, la flore et les communautés humaines sont dévastatrices. Dans la péninsule de Sanggar, les nuées ardentes ensevelissent tout, aucun organisme vivant ne résiste. Sur le reste de l'île de Sumbawa l'épaisseur des dépôts de cendres volcaniques oscillent entre 20 et 50 cm, étouffant la végétation. Les scientifiques estiment qu'il a fallu environ un siècle pour que les écosystèmes se rétablissent[6].

Aujourd'hui encore l'étude de l'avifaune présente dans la péninsule de Sanggar met en évidence une lacune de biodiversité par rapport au reste de Sumbawa. Il est admis que les différentes espèces d'oiseaux ont repeuplé la région par voie terrestre depuis Sumbawa ou en traversant la mer depuis des îles voisines[7].

Conséquences climatiques : « l'année sans été »[modifier | modifier le code]

Graphique montrant les quantités de sulfates, année par année, de l'an 400 à 2000.
Sulfates d'origine volcanique dans l'atmosphère. Le pic du Tambora en 1816 est précédé par une éruption inconnue en 1808, certainement dans le Pacifique sud.
Carte montrant les moyennes de température dans divers pays d'Europe.
Anomalie des moyennes de température pour l'été 1816 en Europe.

L'éruption du Tambora a une puissance surpassant de dix mille fois celles des bombes atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki réunies[8]. Elle a longtemps été considérée par les volcanologues comme étant l'éruption la plus violente des temps historiques, devant celle du volcan de l'ancienne île de Santorin, en Grèce, en 1610 avant Jésus-Christ, et celle du volcan Taupo, en Nouvelle-Zélande, en 230[9]. Des études scientifiques dans les années 2010 identifient une autre éruption historique, celle du Samalas en 1257, autre volcan indonésien, et estiment qu'elle est encore plus forte[10]. Toutes ces éruptions sont cotée à 7 sur l'échelle d'explosivité volcanique VEI (le maximum est de 8 mais n'a jamais été observé)[1]. La meilleure estimation à ce jour du volume de téphra émis lors de l'éruption est de 41 ± 4 km3 DRE (volume de roche calculée en tenant compte de la porosité) ; seule l'éruption du Samalas en 1257 la surpassant[11]. À la suite de l'expulsion de tant de magma et de roche, le reste de la montagne s'effondra sur lui-même et forma une grande caldeira de 6 km de diamètre et de 1 km de profondeur, diminuant ainsi l'altitude du volcan de 1 400 mètres[5]. L'estimation de la quantité de SO2 émise est de 147 Mt, soit des quantités bien plus importantes que pour n'importe quelle autre éruption de temps historiques, y compris le Samalas[12].

L'éruption a d'importantes conséquences climatiques sur le plan mondial, toutes les poussières émises dans l'atmosphère provoquant un hiver volcanique de 3 ans. Des simulations numériques de l'impact climatique des éruptions volcaniques survenues depuis 1 500 ans montrent que celles du Tambora et du Samalas ont eu beaucoup plus d'influence que toutes les autres, y compris des éruptions de force similaire. Le premier paramètre contrôlant l'impact de l'éruption sur le climat est la quantité de SO2 émise dans l'atmosphère ainsi que la taille des particules de poussière. Plus les particules sont fines et plus l'impact sera grand, car elles vont plus facilement se transformer au contact de l'eau présente dans l'atmosphère pour former des aérosols (gouttelettes liquides). Ce sont les aérosols présent dans la stratosphère qui voilent la lumière du soleil[13]. Au-delà du volume de sulfates dans l'atmosphère un autre paramètre primordial quant à l'influence sur le climat est la latitude à laquelle se situe le volcan. De façon générale, à cause de l'organisation générale de la circulation atmosphérique, plus une éruption a lieu près d'un des pôles, et moins son influence sur le climat sera grande. Le Tambora et le Samalas étant très proches de l'équateur, leur influence sur le climat est grande, dans les deux hémisphères[13].

Cette formidable quantité d'aérosols projetés dans la stratosphère entraîne un hiver volcanique pendant quasiment 3 ans, privant la surface de la Terre de la lumière du Soleil. Ceci entraîne un refroidissement climatique général et plus spécifiquement des étés froids et pluvieux dans les latitudes moyennes de l'hémisphère nord. En Europe occidentale tous les records de froid sont battus entre 1815 et 1816. En 1816, les moyennes de températures dans l'hémisphère nord descendent de 0,5 °C à °C avec régionalement des baisses plus marquées[1]. En Europe, la France est le pays le plus touché avec une baisse de température de °C sur l'été 1816[1]. En Hongrie et en Italie des chutes de neige rouge, colorée par les cendres volcaniques, sont observées en plein été[14]. En Amérique du Nord, il neige en juin dans le Maine. En Chine, c'est à Pékin qu'il neige en plein été[15]. Au delà des baisses de température, les autres conséquences sont des pluies diluviennes sur de nombreux pays notamment en Europe de l'Ouest et en Europe centrale où sont recensées de nombreuses inondations, ainsi que le manque d'ensoleillement empêchant la photosynthèse des plantes, ce qui affecte grandement le système agricole[16].

L'ensemble de ces phénomènes amène de graves crises humanitaires, sociales et politiques dans de nombreux pays. L'historien John Post qualifie ces événements de « dernière grande crise de subsistance dans le monde occidental »[17]. L'année 1816 est surnommée par ses contemporains l'« année sans été »[18], ou l'« année du mendiant » en Allemagne[19], ou encore l'« année du maquereau » aux États-Unis[20].

Conséquences socio-économiques[modifier | modifier le code]

Asie[modifier | modifier le code]

Image montrant de la fumée s'échappant d'un volcan et en contre-bas plusieurs personnes qui fuient en courant. Au premier plan on voit un homme porte un mouton sur ses épaules et une fillette apeurée se trouve dans les bras de sa mère.
Timbre indonésien commémorant les 200 ans de l'éruption de 1815.

L'archipel indonésien est le plus touché par les conséquences immédiates. Tout d'abord des tsunamis ravagent les côtes des îles bordant la mer de Java et la mer de Florès, jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres de distance. Sur les îles les plus proches de Sumbawa (Lombok, Bali et la partie orientale de Java) une obscurité presque complète est engendrée pendants plusieurs jours par les aérosols en suspension dans l'atmosphère ; l'eau est contaminée par les cendres et devient impropre à la consommation. Les rares survivants doivent rapidement faire face à une famine totale, les récoltes étant mortes sous plusieurs dizaines de centimètres de cendres, et fuient vers d'autres îles. Certains tuent leurs propres enfants par désespoir [5].

En Chine, la province du Yunnan, au sud, est la première touchée, dès la fin 1815. Les récoltes de riz sont très mauvaises et une famine se déclare. Afin de gagner de l'argent pour acheter la nourriture qu'ils ne peuvent produire, de nombreux paysans se convertissent à la culture du pavot, plus résistant aux variations climatiques. C'est le début d'une industrie de l'opium dans le sud de la Chine, grande consommatrice de ce produit, qui connaîtra son apogée lors des guerres de l'opium[19]. Plus au nord les récoltes sont également catastrophiques et de la neige est vu en juin dans le Heibei[15].

Dans le golfe du Bengale, les perturbations des cycles de la mousson favorisent l'apparition de nouveaux variants du choléra, maladie endémique de la région. Une épidémie se déclenche dans le golfe du Bengale en 1818 et progresse en Inde l'année suivante. Celle-ci devient la première pandémie de cette maladie et se propage à la Chine, au Japon et à la Perse, jusqu'en 1823. Une deuxième pandémie atteint le bassin méditerranéen en 1831, puis l'Europe l'année suivante. Les morts se comptent en centaines de milliers. D'autres vagues suivent en 1846, 1849, 1853[19].

Europe[modifier | modifier le code]

Peinture montrant une fête sur une grande place avec des chariots remplis de céréales.
Arrivée festive des premiers chariots de récolte à Ravensbourg après la famine de 1816-1817. Gottlob Johann Edinger, août 1817.

L'éruption perturbe grandement les récoltes de céréales : le manque d'ensoleillement empêche les grains de mûrir et la forte pluviométrie les fait pourrir sur pied. Des inondations se produisent. Les pénuries et la hausse des prix (le prix du blé double entre 1815 et 1817) entraînent les grandes crises alimentaires de 1816-1817 en Europe avec leurs émeutes de la faim en France, Angleterre, Irlande, Allemagne. Les convois de blé et magasins sont fréquemment attaqués par une foule affamée et en colère[21]. Des témoins rapportent que les pommes de terres, devenues une nourriture de base dans les campagnes du nord de l'Europe, pourrissent à même la terre[19]. En France, des importations de blé de Russie, où la récolte est plutôt bonne, permettent de compenser en partie la pénurie[22]. Au Royaume-Uni, l'activité de la marine marchande permet d'importer des céréales depuis les colonies[19].

Durant deux ans les vendanges sont également catastrophiques ce qui privent de nombreux petits paysans de revenus complémentaires[19]. En 1816, en France, les vendanges démarrent très tardivement, le , soit avec 2 mois de retard[22].

Des épidémies de typhus, liées à l'augmentation de la misère et donc des mauvaises conditions d'hygiène et de la malnutrition, se déclarent un peu partout en Europe[19].

En Allemagne la misère est telle que l'année 1816 est surnommée l'« année du mendiant »[19]. Les Alpes suisses sont touchées par le froid, à tel point que pendant l'été 1816, il neige presque toutes les semaines en fond de vallée, phénomène habituellement observable seulement en hiver. La misère qui en en découle conduit à une importante émigration, par exemple vers le Brésil avec un groupe de 2 000 colons suisses du canton de Fribourg qui est à l'origine de la création de la ville de Nova Friburgo en 1819[23]. En Allemagne, des milliers de gens affamés partent s'établir dans les grandes plaines du sud de l'Empire russe[24].

Certains chercheurs pensent que Napoléon aurait perdu en partie la bataille de Waterloo à cause d'une météo très pluvieuse induite par l'éruption, bien que la bataille ait lieu seulement 2 mois après l'éruption[25]. Victor Hugo écrit dans Les Misérables : « S’il n’avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l’avenir de l’Europe était changé. Un nuage traversant le ciel à contresens de la saison a suffi pour l’écroulement d’un monde »[26].

Amérique du Nord[modifier | modifier le code]

Témoignage du maire de Heiligenstein en Alsace[27]

« 1817 fut une année d'une invraisemblable cherté. Le quart de blé valait 150 francs. Il y eut peu de vin et il était aigre. Huit jours avant les vendanges la neige tomba jusqu'à la hauteur d'une moitié de chaussure, si bien qu'en grand nombre les ceps se brisèrent et que de nombreux arbres sur le ban de la commune et dans la forêt rompirent sous la neige. Cette année-là on ne put travailler le sol des vignes tant il avait plu. Dans ce trimestre de disette un ohmen de Klevener de 1811 valait 80 francs, un quarteau de blé 150 francs, un sac de pommes de terre 24 francs, une mesure de haricots de 15 à 16 sous. Les paysans sur le marché n'arrivaient plus à savoir ce qu'ils devaient demander, si bien que plus d'une fois, quand ils avaient exagéré, les gens renversaient ce qu'ils avaient sur leur étalage et les pauvres, qui se tenaient derrière eux le leur volaient, imités souvent par les gradés allemands qui étaient encore dans la région. Les pauvres allaient en forêt, dans les coupes, cueillaient des herbes, les faisaient cuire, les hachaient comme du chou et les mangeaient. Mais tout ce qu'on arrivait à manger cette année-là ne nourrissait pas, si bien que les gens avaient encore faim une heure après. Bien des gens périrent d'inanition dans les environs de Strasbourg et l'on trouva deux enfants morts dans un champ de trèfles où ils avaient mangé de jeunes pousses. »

Aux États-Unis, la côte est se voit particulièrement affectée avec des températures glaciales : en juin des chutes de neige se produisent dans le Maine, certains lacs gèlent en Pennsylvanie, les récoltes sont ruinées dans toute la Nouvelle-Angleterre[19]. Dans certains États, la perte est de 90%[20]. La région voit également se succéder trois hivers particulièrement rigoureux, de 1815 à 1817. La mer gèle complétement dans la plupart des ports[20]. Au Canada, la ville de Québec se retrouve avec 20 cm de neige en plein mois de juin. Le pain et le lait viennent à manquer. Dans les campagnes la population fait bouillir du foin pour se nourrir[28].

Les bouleversements climatiques de l'année 1816 affectent également les ressources halieutiques saisonnières, notamment les cycles de migration et reproduction des poissons. Les gaspareaux, traditionnellement très pêchés dans la région dès le début d'année, sont décimés. La seconde espèce cible, le maquereau, voit son cycle de reproduction moins affecté et arrive plus tard dans l'année. Les récoltes de blé étant très mauvaises cela accentue la demande sur la pêche, ce qui incite les bateaux à aller pêcher de plus en plus au large pour augmenter leurs prises dont le volume double en deux ans. L'année 1816 devient ainsi connue aux États-Unis comme étant l'« année du maquereau »[20].

Cette succession de mauvaises récoltes a des conséquences sur la dynamique de peuplement des États-Unis. Dans les années qui suivirent des dizaines de milliers de personnes, principalement des fermiers, quittent la Nouvelle-Angleterre pour le Midwest, dans l'espoir d'un climat meilleur mais aussi de propriétés plus grandes et de sols plus fertiles[29]. Le Vermont perd ainsi plus de 10 000 habitants sur les deux années 1816 et 1817[30]. De l'autre côté, l'afflux de migrants permet à l'Indiana de se constituer en État fédéré en décembre 1816, l'Illinois faisant de même en 1818[29].

Afrique[modifier | modifier le code]

Il y a peu de données historiques pour le continent à cette époque. La seule certitude est que l'Afrique australe est touchée par une sécheresse inhabituelle dans les années suivant l'éruption[31].

Influence sur les arts[modifier | modifier le code]

Peinture[modifier | modifier le code]

Les cendres et les aérosols sulfatés envoyés dans la stratosphère provoquent un hiver volcanique et font plusieurs fois le tour de la Terre, causant, lors des étés 1815 et 1816, des ciels jaunâtres et des couchers de soleil rougeoyants qui vont influencer les artistes de l'époque. Tout d'abord dans le domaine de la peinture, tel est le cas de William Turner avec notamment ses tableaux antiques (Didon construisant Carthage ou l'Ascension de l'Empire carthaginois et le Déclin de l'empire carthaginois) dont la composition est centrée sur des couchers de soleil, de Caspar David Friedrich dont les atmosphères romantiques s'inspirent des cieux tourmentés du nord de l'Allemagne, ou encore de John Crome qui peint des moulins à vent devant des ciels lugubres et jaunâtres[32],[18].

Littérature[modifier | modifier le code]

L'éruption du Tambora influence fortement la littérature britannique. En effet, Lord Byron, Percy Shelley et Mary Shelley passent l'été 1816 en Suisse. Les pluies continuelles les obligent à rester enfermés à longueur de journée dans leur villa au bord du lac Léman. Ils se livrent ainsi à des concours de poésie ou d'écriture de nouvelles. Les deux premiers produiront ainsi certaines de leurs œuvres les plus connues, notamment Darkness (« Ténèbres »)[18]. Mary Shelley sera elle inspirée par l'atmosphère lugubre de la saison et commencera la rédaction de son chef d'œuvre Frankenstein[33].

Influence sur les sciences et techniques[modifier | modifier le code]

Lithographie couleur montrant un homme à califourchon sur une draisienne en bois.
Karl Drais sur sa draisienne inventée en 1817. Hartenstein, 1820.

Compréhension des phénomènes par les contemporains[modifier | modifier le code]

Ces bouleversements restent incompris des contemporains, par manque d'informations et de connaissances scientifiques, ce qui ajoute la peur au désarroi[15]. Les contemporains de l'éruption, y compris les érudits et scientifiques, ne font pas le lien direct entre les mauvaises conditions climatiques et l'éruption du volcan qui est connue mais mal documentée. De plus, à l'époque, il faut 6 mois pour transmettre une information des Indes vers l'Europe, ce qui rend d'autant plus difficile d'établir un lien entre les évènements[34]. Il y a des récits de témoins directs de la catastrophe et de ces conséquences dans les jours qui suivent, mais ceux-ci restent cantonnés dans les cercles administratifs coloniaux[35]. Thomas Jefferson observe le caractère unique du climat cette année-là, mais ne fait pas le lien avec le volcan indonésien[36]. Le météorologue Luke Howard note la présence de « brouillards secs » persistants sans pouvoir les expliquer. Parfois, à midi, il fait aussi sombre qu'en pleine nuit. Certains prédisent la fin du monde ou le Jugement dernier. À Bologne, en Italie, ville de la plus ancienne université du monde, un astronome prédit l'extinction prochaine du soleil et la disparition de toute vie sur Terre[16]. Des processions religieuses sont organisées dans plusieurs villes européennes pour quémander la clémence divine[16]. Dans le folklore indonésien de l'époque le cataclysme est expliqué par un châtiment divin. Un poème indonésien évoque un dirigeant local qui aurait encouru la colère d'Allah en donnant à manger de la viande de chien à un hajji et en le tuant[37]. Ce n'est qu'avec l'éruption du Krakatoa en 1883, que la science, qui a accumulé 68 ans de savoir supplémentaire, commence à comprendre les conséquences climatiques des éruptions. Bien que 8 fois moins puissante que celle du Tambora, l'éruption du Krakatoa, mieux documentée, marque beaucoup plus la culture et la science occidentales[34].

Innovation technique[modifier | modifier le code]

Les conséquences de l'éruption sont également un des facteurs qui peuvent catalyser l'innovation technologique et permettre certains basculements économiques. En Nouvelle-Angleterre, l'année sans été initie ainsi des changements dans les habitudes et stratégies de pêche (changement d'espèces cibles, développement de la pêche au large) et voit se diffuser l'usage du leurre à maquereau, inventé au Cap Ann dans le Massachusetts[20]. En Allemagne, comme dans d'autres pays, les mauvaises récoltes empêchent de nourrir les chevaux correctement. Karl Drais cherche de nouveaux moyens de locomotion et invente la draisienne puis le vélocipède[38]. Traumatisé par la famine de 1816, le chimiste Justus von Liebig s'intéresse lui aux rendements agricoles et développe les premières formes d'engrais minéraux[39].

Bilan humain[modifier | modifier le code]

L'éruption volcanique elle-même tue 11 000 personnes sur Sumbawa, principalement à causes des nuées ardentes. À ces victimes s'ajoutent celles des tsunamis, de la famine qui a immédiatement suivie, des intoxications par l'eau polluée et des épidémies qui sévirent principalement sur les îles de Sumbawa, Bali et Lombok. Les estimations sont de 38 000 victimes supplémentaires sur Sumbawa, entre 44 000 victimes et 100 000 victimes sur Lombok, et 25 000 victimes sur Bali. Le total de victimes dans la région des Petites îles de la Sonde est donc au minimum de 117 000 personnes[40]. Ceci en fait l'éruption la plus meurtrière de tous les temps[1].

L'éruption a d'importantes conséquences climatiques sur le plan mondial. Elle est à l'origine de l'« année sans été » de 1816, qui entraîna des famines en Chine, Europe et Amérique du Nord, faisant entre 100 000[41] et 200 000 victimes[19] dans le monde. À cela s'ajoute les victimes des épidémies de typhus en Europe (plusieurs milliers) ainsi que celles de la première pandémie de choléra probablement initiée par les conséquences climatiques de l'éruption (des dizaines de milliers)[24].


Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b c d et e (en) Clive Oppenheimer, « Climatic, environmental and human consequences of the largest known historic eruption: Tambora volcano (Indonesia) 1815 », Progress in Physical Geography: Earth and Environment, vol. 27, no 2,‎ , p. 230–259 (ISSN 0309-1333 et 1477-0296, DOI 10.1191/0309133303pp379ra, lire en ligne, consulté le )
  2. a b c d e f g et h (en) Richard B. Stothers, « The Great Tambora Eruption in 1815 and Its Aftermath », Science, vol. 224, no 4654,‎ , p. 1191–1198 (ISSN 0036-8075 et 1095-9203, DOI 10.1126/science.224.4654.1191, lire en ligne, consulté le )
  3. Corbin 2020, p. 144.
  4. (en) R. Gertisser et S. Self, « The great 1815 eruption of Tambora and future risks from large‐scale volcanism », Geology Today, vol. 31, no 4,‎ , p. 132–136 (ISSN 0266-6979 et 1365-2451, DOI 10.1111/gto.12099, lire en ligne, consulté le )
  5. a b et c Corbin 2020, p. 145.
  6. (en) Haraldur Sigurdsson, The encyclopedia of volcanoes, Elsevier/AP, Academic Press is an imprint of Elsevier, , 1426 p. (ISBN 978-0-12-385938-9), p. 11
  7. Colin Trainor, « Birds of Gunung Tambora, Sumbawa, Indonesia: effects of altitude, the 1815 cataclysmic volcanic eruption and trade », Forktail, vol. 18, 2002, p. 49-61
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Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

Imprimés[modifier | modifier le code]

Articles[modifier | modifier le code]

Films[modifier | modifier le code]

  • Un été sans soleil, produit par Tetra Media en partenariat avec Cicada Films, diffusé sur Arte le
  • Tambora, l'éruption qui a changé le monde, réalisé par Florian Breier, 2017

Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]